jeudi 28 février 2013

Luc 19:28-44


Luc 19 : 28-44  les Rameaux - dimanche 24 mars 2013

28 Après avoir ainsi parlé, il partit en avant et monta vers Jérusalem.
29 Lorsqu'il approcha de Bethphagé et de Béthanie, près du mont dit des Oliviers, il envoya deux de ses disciples, 30 en disant : Allez au village qui est en face ; quand vous y serez entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s'est jamais assis ; détachez-le et amenez-le. 31 Si quelqu'un vous demande : « Pourquoi le détachez-vous ? », vous lui direz : « Le Seigneur en a besoin. »
32 Ceux qui avaient été envoyés s'en allèrent et trouvèrent les choses comme il leur avait dit. 33 Comme ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent : Pourquoi détachez-vous l'ânon ? 34 Ils répondirent : Le Seigneur en a besoin. 35 Et ils l'amenèrent à Jésus ; puis ils jetèrent leurs vêtements sur l'ânon et firent monter Jésus. 36 A mesure qu'il avançait, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin.
37 Il approchait déjà de la descente du mont des Oliviers lorsque toute la multitude des disciples, tout joyeux, se mirent à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus. 38 Ils disaient :
Béni soit celui qui vient,
le roi, au nom du Seigneur !
Paix dans le ciel
et gloire dans les lieux très hauts !
39 Quelques pharisiens, du milieu de la foule, lui dirent : Maître, rabroue tes disciples ! 40 Il répondit : Je vous le dis, si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront !
Jésus pleure sur Jérusalem
41 Quand, approchant, il vit la ville, il pleura sur elle 42 en disant : Si toi aussi tu avais su, en ce jour, comment trouver la paix ! Mais maintenant cela t'est caché. 43 Car des jours viendront sur toi où tes ennemis t'entoureront de palissades, t'encercleront et te presseront de toutes parts ; 44ils t'écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas reconnu le temps de l'intervention divine.

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Notre réflexion quotidienne sur l’état de la planète passe par des élans d’enthousiasme et des moments de doute au sujet de l’action de Dieu dans le monde des humains. C’est cette atmosphère aujourd’hui que nous restitue l’Évangile de Luc en abordant le récit des Rameaux. Nous y croisons des gens pleins d’enthousiasme qui  se dépouillent de leurs vêtements qu’ils jettent sur un ânon et qui nous  invitent à participer  à leur  jubilation. Dans le même temps nous croisons les regards de Jésus dont les pleurs coulent sur les joues alors qu’il envisage un avenir sombre pour Jérusalem. Le Seigneur pleure sur la ville en voie de perdition dont il annonce  la fin catastrophique alors que les gens qui l’entourent manifestent leur bonheur d’entrer dans une ère de paix. L’Évangéliste nous fait passer sans transition de l’enthousiasme au désespoir,  et du désespoir à  la résilience.

La plume de Luc en multipliant les contrastes campe assez bien ce qui se vit dans la pensée de nos contemporains  qui cherchent les signes de la présence de Dieu dans les discordances de notre temps. Jésus vient vers eux en  promoteur d’une ère de paix comme le nouveau roi tant attendu, mais il annonce  en même temps que la ville sainte où il fait son entrée est promise à la destruction et ne se relèvera pas de ses plaies. La promesse de paix annoncée ne se réalisera que si les hommes, à l’inverse des gens de Jérusalem accueillent correctement leur Dieu qui les visite.

Car Dieu, à n’en pas douter visite les hommes, et ceux-ci  ne savent pas vraiment accueillir leur divin visiteur. Leur intérêt les pousse dans une autre direction. Ils accordent leur attention à ceux qui savent les séduire. Ce sont le plus souvent, les hommes de pouvoir qui les attirent et les fascinent. On les croit dépositaires de capacités, d’intuition, de sciences et de compétences qui sont seules porteuses de vérités pour l’avenir du monde. Les habitants de Jérusalem ont toujours cru qu’ils bénéficiaient des faveurs de Dieu.  L’auteur de l’Évangile se remémore-t-il, au moment où il écrit, l’histoire toute proche de la chute de Jérusalem?  Il y fait  peut être allusion dans son récit  ou rapporte-t-il une intuition prophétique de Jésus  concernant la ville ? Nous n’entrerons pas ici dans le débat.

Quand les armées romaines défièrent les forces juives qui s’opposaient à elles, elles  eurent affaire à une résistance farouche. Les juifs se croyaient protégés par leur bon droit et les faveurs de Dieu. Leurs premières victoires les confortèrent dans cette impression. L’histoire a démontré le contraire et c’est la pire des catastrophes qui s’en suivit. Ce fut l’anéantissement total. Nul n’avait compris 37 ans plus tôt de quelle manière  il fallait accueillir Dieu pour avoir la force de faire face.

Mais la force que donne le Seigneur ne s’appuie pas sur la force des armes, ni sur la sagesse humaine, ni sur le bon droit, ni sur la légitimité dont Dieu serait le garant. Quand Dieu nous visite, ce n’est pas en tant que chef tout puissant des armées célestes. La vérité sur Dieu relève d’une autre dimension.

C’est l’attitude de Jésus lors de son entrée à Jérusalem qui nous éclaire. Il s’avance sans arme, un petit âne dérisoire  pour monture, sous les acclamations  de quelques amis dont les louanges s’adressent à un roi dont le pouvoir est céleste et non pas temporel. Il se livre à un simulacre de conquête  de la ville sainte que nous jugeons, il faut bien le dire, comme dérisoires et sans avenir.

La présence de L’ânon contribue à rendre la situation irréaliste. Les autres évangiles  ont senti la difficulté de rendre les choses vraisemblables à partir d’une telle monture. Ils se sont appuyés sur les prophéties Habacuc qui fait allusion à une ânesse et son ânon pour raconter un tel événement. Ils  juchent alors  Jésus sur l’ânesse. Les choses apparaissent ainsi plus raisonnables, mais à la différence des autres évangiles Luc veut insister sur le dérisoire de la situation.

Mais il n’y a pas que l’ânon qui soit dérisoire, à y réfléchir un peu, l’Évangile aussi  n’est  pas très crédible pour les masses auxquelles il s’adressait.  Quand Jésus nous demande de partager notre nécessaire avec celui qui n’a plus rien est-ce vraisemblable ? Quand il nous propose d’aimer nos ennemis, et  de prier pour ceux qui nous persécutent, cela rallie-t-il vraiment notre adhésion ?  Quand il propose l’ânon comme monture il reste dans l’irrationnel.

Mais c’est de cet ânon-là, que Jésus a besoin, c’est  avec cette  monture inutilisable qu’il prétend affirmer son autorité. Jésus montre ainsi de quelle nature sont ceux dont il a besoin pour affirmer son règne de paix. Il a besoin de ceux qui apparemment n’ont pas d’autorité ni de compétence pour le faire. Il ne réclame pas pour autant des débiles et des demeurés, des gens son intelligence, incapables de se frayer un chemin dans le monde. Il a seulement besoin de ceux qui croient à la vérité de ses promesses et à sa volonté de changer le monde en profondeur.  Il cherche des gens capables de lui faire confiance et qui espèrent en autre chose que dans la force et l’esprit de domination pour faire triompher le bon droit. L’autorité dont Dieu a besoin quand il nous visite est donc ailleurs que là où les hommes l’espèrent
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Mieux, Luc, le narrateur va en rajouter une couche. Il insiste sur le fait que les gens qui accompagnent Jésus se dépouillent eux-mêmes de leurs vêtements pour que Jésus s’asseye dessus ou pour que le petit âne les piétine. Il signifie ainsi que ceux qui veulent participer à la royauté de Jésus doivent eux-aussi se dépouiller de tout ce qui leur appartient et qu’ils ne doivent faire confiance qu’à la foi que Jésus a déposée en eux. Si Luc ne mentionne pas les palmes que les gens agitent dans  les  autres évangiles, c’est que les palmes servent à honorer celui pour qui on les agite, Jésus ne réclame  pas cet honneur,  il ne demande que le don de soi.

Voilà un royaume bien difficile à construire, et il semblerait bien que Jésus nous invite à le suivre dans une perspective d’échec. Il en est conscient, la morosité s’empare de son propos car la route qui mène à la paix semble encore barrée par l’incompréhension des hommes. Elle passe certainement par la mort du Seigneur sur la croix. Personne n’en doute, mais elle passe aussi par l’anéantissement de toute velléité à vouloir construire le Royaume de Dieu avec des valeurs humaines. Il récuse  la prétention  des hommes à vouloir faire avancer les choses par leurs propres forces et leur propre génie.

Faut-il alors renoncer à une telle entreprise ? Loin de là, mais elle ne peut aboutir que  si elle s’appuie sur le petit nombre de gens assez utopiques pour croire que Dieu n’ a pas  besoin  de leurs compétences humaines pour construire ce Royaume que Jésus propose. Cependant Dieu n’envisage pas de faire aboutir son projet tout seul. Il a besoin de tous ceux  qui se mettent en capacité de recevoir le souffle de l’esprit et qui offrent leurs disponibilités et  la modestie de leurs moyens pour entraîner le monde à leur suite dans une ère nouvelle.

Dieu a l’audace de croire que ce petit nombre est suffisant pour que les choses changent. L’Église qui reçoit ce message dans la confiance est appelée à quitter ses ambitions de  régenter le monde en lui imposant sa théologie et sa morale. Elle s’ouvrira alors à la sérénité que lui offre sa confiance retrouvée dans une marche joyeuse vers un monde nouveau. Dans la quête de Dieu que mènent beaucoup d’hommes aujourd’hui, c’est dans cette voie qu’ils trouveront sans doute le chemin du salut.

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